David et Thomas, l’aîné et le cadet. Le premier à la batterie et au chant, le second à la guitare. Élevés en Lorraine, ils ont traversé les Rocheuses (oups pardon, les Vosges) pour se poser à Strasbourg. Frères depuis tout petits, ils ont commencé à faire de la musique ensemble à l’adolescence, dans la chambre de l’aîné (en s’amusant à re-jouer en entier l’album Live Killers de Queen). Après quelques aventures en groupe, ils se sont retrouvés à deux avec l’envie de revenir à l’essentiel : le rock’n’roll. La musique étincelante allumée chez Sun Records à Memphis au début des années 1950, arrosée d’un moonshine blues à 75° et qui explose dans le rock garage. Comme un clin d’oeil espiègle à la figure tutélaire de Johnny Cash, le premier concert de Bad Juice a lieu en 2014 à la prison centrale d’Ensisheim. Grand amateur de blues, le tueur en série Guy Georges est dans l’assistance. Deux ans plus tard -2016- sort Ding-ADong, premier manifeste de rock’n’roll turgescent, où Bad Juice montre qu’en plus d’avoir des références (une reprise de Bo Diddley, une autre de Jimmy Reed), il sait faire preuve d’irrévérence.
Puis David et Thomas remettent le couvert en 2019 avec Stack-O-Lee, deuxième album produit par les new-yorkais Rocio et Matt Verta-Ray (Heavy Trash), qui ont posé leurs valises à Strasbourg pour l’occasion. Dans cet hommage radical à tout ce qu’ils aiment dans la musique américaine, David et Thomas font le tour de la question et tout y passe : on y entend du pur rockabilly, rock’n’roll proto-punk, de la power-pop, une balade pour emballer Peggy Sue, et même un tango misterioso. Le disque tape rapidement dans l’oeil de la presse rock hexagonale, de Rock & Folk à Rolling Stone.
2018 : le duo veut du changement et se lance dans l’écriture d’un album censé témoigner de son amour pour la musique soul mais les choses ne se passent pas comme prévu.
Le soir où ils commencent à répéter avec Nick Wernert qui assurera la basse sur le disque, le groupe est enfermé dans son local, la ville est bouclée : c’est la nuit de l’attentat de Strasbourg. Commence une période brumeuse, marquée notamment par la pandémie mondiale et ses confinements forcés, qui verra Bad Juice accoucher non pas de chansons soul mais de titres plus pop et mélancoliques qu’à l’accoutumée.
Pour produire l’opus fruit de ces sessions, Bad Juice se tourne vers Gemma Ray, une chanteuse anglaise dont les frangins sont fans, tout comme d’ailleurs l’immense Jimmy Page. Outre les
chansons envoutantes de la chanteuse, les deux frères goûtent particulièrement la qualité de la production maison de ses derniers disques.
C’est donc cette fois à Berlin, dans le fameux Candy Bomber Studio du Tempelhof (un aéroport désaffecté qui avait été réaménagé entre 1936 et 1941 par l’architecte nazi Albert Speer) que Bad Juice est allé enregistrer fin 2021 Amour Noir avec Gemma Ray comme productrice.
Emballée par les nouveaux titres, Gemma s’engage totalement dans le projet avec l’envie de bousculer les habitudes du groupe. Elle s’inspire du mur du son spectorien tout en conservant la flamme rock’n’roll de Bad Juice. Ambiances de fête foraine, claviers beatlesiens, chœurs féminins et nappes de guitare jouée au couteau par la chanteuse anglaise elle-même constituent l’écrin de chansons plus sombres, mais toujours pleines de l’humour et du second degré si chers au duo.
L’album Amour Noir est habité par l’angoisse de la séparation des êtres chers, de l’être aimé. De la crainte de se retrouver seul face à un monde hostile et dangereux dans le meilleur des cas - à l’instar de la ville de “City On Fire” - ou qui s’effondre littéralement - “Since From The Very End Of The Universe (And What Happened Next)” -, lorsqu’on ne le quitte pas définitivement dans un ultime voyage (“Dark Train”).
Disque névrosé, Amour Noir a gravé dans ses sillons un regard inquiet sur une période trouble, sans jamais sombrer dans le désespoir.
Pour fêter la sortie d’AMOUR NOIR, Up for the Crack Records & Twisted Soul Records avec InOuïe Distribution rééditent les deux premiers albums de BAD JUICE dans un nouveau packaging comportant vinyle et CD !
photos : @Philippe Mazzoni